Itinéraire d'un enfant gâté

Publié le par Zoquetin

Tu devais être noir et blanc. Il a fallu que tu sois roux. Roux quoi. Je t'en ai pas tenu rigueur, ça fait un moment que j'ai appris que les préjugés sont faits pour être caressés à rebrousse poil. Je t'ai même invité à squatter mon sommier. Tu l'as baptisé recto-verso, ta manière à toi de montrer que tu manquais de repères. Je t'ai baptisé Pluchon, ma manière à moi de te rappeler que ta fonction première, c'était nounours. Les chats, c'est naturellement arrogant. Alors il faut leur choisir un nom bien pourri. Ça les rend humbles.

J'ai tout fait pour que tu ne manques de rien. Un toit, deux croquettes, trois fois rien et quatre colocs. Plus Maya, ton alter-ego canin. L'équation était simple, l'inconnue, vite levée : du bonheur ronronné au moindre bonding time, une complicité léchée, lappée de ta langue rappeuse.

Pendant ta jeunesse, tu as plus zoné du coté du collège Degrassy que de Melrose Place : Fumeur de shit à deux ans (passif certes, mais fumeur quant même), Tentative de suicide par defenestration à trois ans, tu découchais chez Maren, la voisine, à quatre ans. Faut croire que j'étais pas prêt à être père. Alors par dépit, et lâcheté, je t'ai envoyé à l'etranger comme chat au pair. Chez mes pères, certes, mais c'était pas des choses à faire. Je m'en suis mordu la langue. Tu t'en es lêché la queue. C'est mieux comme ça. On est pas des contorsionnistes.

Alors tu m'en as voulu, bien sûr. En plus, j'étais pas très réglo sur la pension alimentaire. Mais niveau croquettes, t'es monté en gamme. Niveau altitude, t'es monté aux arbres. Et vu d'où on partait, c'était plutôt inesperé.

Pendant que d'autres se métamorphosaient en cafard, toi tu abandonnais ta chrysalide de matou d'appartement pour lustrer ton pelage de tigre. Allure svelte, démarche de prédateur, tu faisais la fierté de mes parents. Un peu moins, peut-être, quand tu ornais leur paillasson de moineaux tout chauds ou de souris bien raides... Ta générosité est une éternelle incomprise.

Dans cet environnement luxuriant, tu t'es fais des nouveaux poteaux : Le lierre au pied du vieux sapin, la table en tec qui surplombe le jardin, le lopin de terre protégé par les vitres de la serre en hiver, le fauteuil cabriolet à coté de la cheminée, et mon lit, lors de nos trop rares retrouvailles.

Sauf que la vie est une chienne. Et elle aime pas les chats-toyants.

Et moi les fins tristes. Alors je ne garde que l'allegresse et la complicité qui nous unissait, moi et mon chat. Roux, certes.

Mais avec le temps, mon chat se reflète dans ma barbe...

 

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article